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Extrait 2 : La découverte de Stepford
Situation :
Après avoir été licenciée de la chaîne de télévision dont elle était l'étoile, et avec le même cynisme que celui dont elle a fait preuve auprès des candidats, Joanna se retire à la campagne avec sa famille. La présentation de la ville de Stepford est un parengon de réussite.
Le lieu est isolé et clos sur lui-même : comme tout utopie, il s'agit d'un monde à part. Ces quartiers résidentiels, où vit une population fortunée dans une sorte de "ghetto" pour riches, existent réellement dans de grandes villes d'Amérique du Nord, aussi bien aux Etats-Unis qu'au Mexique ( oui, le Mexique est bien en Amérique du Nord et non en Amérique centrale . )
Il faut montrer patte blanche pour entrer. Un vigile surveille l'accès à la propriété privée.
Un monde de rêve s'offre à vous. Plan magnifique puis plongée sur un paysage merveilleux. Les portes du Paradis.
De magnifiques maisons apparaissent, des pelouses comme des terrains de golf...Dans le making off, le réalisateur se réfère aux grandes propriétés que l'on voyait apparaître dans les séries à succès des années 80, comme Dallas ou encore Dynastie. C'est le rêve américain en technicolor, gloire, richesse, beauté...En réalité, Stepford n'existe pas. Plusieurs endroits ont dû être filmés pour fabriquer cet univers de luxe et d'harmonie. L'intérieur des maisons est créé en studio.
Devant les maisons, des femmes blondes, élégantes, jolies, en robe claire et printanière : partie intégrante du décor !
Claire, ambassadrice de la ville, fait visiter aux nouveaux habitants leur demeure qui se doit de correspondre aux désirs les plus profonds : espace, luxe, confort, lumière, cuisine semblable à celles imprimées sur papier glacé dans les revues de décoration et...entièrement robotisée. Le réfrigérateur vous indique les produits à acheter et un appareil surveille votre poids, votre taux de sucre dans le sang, votre masse graisseuse et tutti quanti !
Lorsque Joanna émerge d'une nuit profonde, toujours sous le choc de sa descente aux enfers, elle erre dans la maison, étrangère à ce décor par trop parfait, presque irréel.
Mais sa surprise ne s'arrête pas là. Elle va découvrir les lieux phares de la ville : le club des hommes et le spa des femmes !
Tout d'abord, petit trait plein d'humour qui fait remonter la naissance de la ville au mythe fondateur de Whashington, héros de la guerre d'indépendance et premier président américain ( mais aussi riche propriétaire terrien). Image essentielle dans l'imaginaire national. Cette référence glorieuse est associée à un petit clin d'oeil à "Martha", son épouse : nous voici redescendus dans l'univers familier des femmes à la maison.
...Et l'on vit entre soi : pas de crime, pas de pauvreté ni de foule ( populace?). Un peu plus tard, Bobbie, écrivaine juive et autre "pièce rapportée" de la ville, fera remarquer qu'on ne trouve ni noirs, ni indiens...
Eloge des hommes , si "merveilleux" et qui sont mieux entre eux , loin des jupes des femmes...
Allons donc voir ce qui se passe " at the Simply Stepford Day Spa"
Première apparition de choc : une douzaine de barbies en chair et en os : même silhouette, même robe ( et même longueur de robe) mêmes chaussures...Et surtout, même comportement, même attitude et parlant à l'unisson!
Quoi qu'elles fassent, sport, tâches ménagères, les femmes se doivent d'être toujours impeccables...
Par amour propre? Non! Que diraient les maris s'ils voyaient leus épouses négligées!
La description de ce qu'il ne faut pas être, vêtue de vieux vêtements noirs plein de sueur,
et de plus sans maquillage et les cheveux décoiffés,
semble étrangement ressembler à quelqu'un !
Plan moyen sur les belles épouses, épaules et gorges dénudées, soigneusement peignées, et, au centre, celle qui prend enfin individuellement la parole : on frémit de cette étincelle de génie !
Et voici le club de sport féminin à l'oeuvre : on tourne sur soi-même pour imiter le tambour d'une machine à laver ... Référence culturelle oblige!
Meanwhile...Walter discovers the meaning to be a man in Stepford !
La voiture roule, le décor défile dans un long travelling : terrains de golfe spatieux et verdoyants, hommes libres, vainqueurs, conquérants : on a juste le temps d'entendre le cri du vainqueur! Et, à côté, un modèle dupliqué d'épouses souriantes, passives, obéissantes, juste là pour décorer les environs tout en portant les clubs de leurs maris. On verra, un peu plus tard, qu'elles ont bien d'autres utilités pratiques...
Décor grandiose : plan général permettent d'apercevoir toutes les voitures de luxe et de sport garées autour du club. Quand on découvrira les membres de ce cercle très fermé, la surprise sera grande.
Plan et cadrage particulièrement réussis : en effet, ce sont comme des mains, des bras qui happent Walter à l'intérieur. Il est important de l'absorber, de l'intégrer à ce mécanisme bien huilé, mais qui peut rapidement s'enrayer à cause d'un maillon différent qui stopperait l'engrenage.
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Un des passages clé du film :
Cadre idéal : "an old fashioned town picnic" qui va réunir toute la petite société stéréotypée de Stepford, un jour également idéal : la fête traditionnelle du 4 juillet. Buffet à l'américaine ( pies faits maison), danses folks( cow boys! ) drapeau américain.
Et l'apparition délicieuse de trois trublions, "reals humans", des "marginaux" qui ont échoué là pour surmonter des crises existentielles :
- Joanna, qui tente de remonter la pente suite à l'effondrement de sa carrière, et qui n'a rien d'une parfaite maitresse de maison.
- Bobbie, une romancière juive originale et loufoque, qui n'est pas sans rappeler Woody Allen par certains côtés ( voir le titre de son livre , consacré à sa relation avec sa mère : I love you, but please die )
- Et un architecte homosexuel, absolument charmant, mais hors norme pour Stepford : trop efféminé, trop iconoclaste.
Ces trois personnages très charismatiques sont magistralement interprétés par Nicole Kidman, Bette Midler et Roger Bart.
La fête bat son plein quand, tout à coup, une jeune femme semble prise de folie. Elle ne cesse de tourner sur elle-même à un rythme endiablé, émettant des bruits bizarres, jusqu'à choir sur le sol comme une poupée en bois.
A Walter, parlant de ses pantalons...
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Cet extrait commence à apporter des clés plus précises. Derrière l'utopie, le bonheur parfait ( pour tous?) dans le meilleur des mondes, se profile une horrible vérité.
Les trois "trublions", récemment arrivés à Stepford, tous professionnels célèbres ayant connu la réussite et la gloire, s'introduisent chez Sarah, la jeune femme tombée "malade" lors du pique-nique festif du 4 juillet. Il s'agit de prendre de ses nouvelles, mais comme personne ne répond, ils pénètrent sans permission dans la demeure. En effet, la porte de cette luxueuse maison est ouverte : "Quelle confiance!" s'exclame Robert, amusé. C'est oublier qu'à Stepford il n'y a pas de crimes, pas de vols...
L'intérieur de ce foyer est époustouflant : tout est admirablement propre, rangé, décoré, fleuri...Et pourtant, la maison est immense et pas l'ombre d'un domestique. Vous pensez trouver la maîtresse de maison affairée, un chiffon dans une main, un balai dans l'autre, un foulard sur la tête? Non ! Surprise! Madame est en plein ébats amoureux avec Herb, son époux. Les trois intrus n'en croient pas leurs oreilles. Comme tout ce qui se passe à Stepford, la relation semble hyperbolique. Plus tard, Joanna se demandera comment une épouse peut avoir sa maison si bien tenue, tout en se permettant d'avoir en plein milieu de la journée des relations si enthousiastes ! La scène, amusante, devient progressivement cynique : à peine l'union entre les deux époux est-elle terminée que le mari envoie sa femme lui chercher à manger . Celle-ci apparaît en quelques secondes en haut de l'escalier, prête à obéir à "son mari, son chef, son seigneur et maître" comme dirait Arnolphe dans L'Ecole des Femmes de Molière. Elle ne s'épuise donc jamais! Elle semble fonctionner avec des piles Durasel!
On ne croit pas si bien dire : Le spectateur voit ce que les trois autres personnages ne voient pas; Robert trouve au sol une télécommande, étrangement étiquetée au nom de la jeune femme. Lorsqu'il appuie sur une touche, soudainement, la poitrine de Sara enfle démesurément...
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Observez bien tous les clichés contenus dans cette scène. Chaque plan, quel qu'il soit, plan américain sur un groupe d'hommes, travelling sur le décor, plan moyen sur Walter, dont on aperçoit le visage ravi mais aussi la position confortable dans son fauteuil, un cigare dans une main et verre d'alcool dans l'autre, chaque plan donc révèle un aspect négatif des personnages : prétention, arrogance, grivoiserie, complexe de supériorité, complicité "virile".
Et puis, avec quels objets téléguidés ces "grands enfants" s'amusent-ils? Des robots bien sûr! Et tiens, quelle surprise : l'un est féminin, l'autre masculin. Lequel sortira vainqueur de la lutte? Et de quelle lutte s'agit-il?
Regardez quel en est le trophée...mais surtout, quel nom porte le robot masculin :
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La scène se déroulant au club de lecture permet de mesurer davantage le fossé entre ces habitants venus d'un autre monde et la mentalité des femmes de Stepford. Si Roger, en tant qu'homosexuel particulièrement efféminé, s'intègre avec plaisir dans la discussion et finit par se fondre dans ce décor de bonbonnière, Joanna et Bobbie ne peuvent rester qu'en marge d'un univers où elles persistent à apparaître comme des éléments perturbateurs : Joanna en tant qu'intellectuelle ( adjectif incompatible avec le mot "femme" à Stepford) et Bobbie, en tant que juive. Le dialogue, la mise en scène, le groupe homogène et plus qu'homogène des femmes, la chef d'orchestre qu'est Mrs Wilkinson, tout est parfaitement harmonisé dans un humour corrosif. La discussion sur les pommes de pin comme article fondamental dans la préparation des décorations de Noël tourne au délire...
Moment de gêne : la discussion tarde à commencer...
On se regarde en chient de faïence
Joanna tente de lancer la discussion sur un livre qu'elle vient de lire...
Surprise : ce n'est pas trop le genre de la maison : la biographie de Johson, et en trois volumes en plus!
Après un temps de réflexion : mais c'est magnifique !
Passons aux choses sérieuses : un livre bien plus recommandable
"sans doute le plus important que nous n'ayons jamais lu.
...C'est vrai, il est sans doute un peu provocant mais combien inspirant.
Dans une édition spéciale...
Les Souvenirs et objets de collection de Noël!"
Quel enthousiasme!
Robert est contaminé par la joie de ses consoeurs...
"Ce livre m' a parlé : il m'a dit célébrons la naissance de notre Seigneur Jésus Christ
avec de la verdure" ( traduction approximative !)
Maintenant Bobbie, nous comprenons que vous vous sentiez probablement un peu mal à l'aise...( voir la tête de Bobbie)
avec ce livre " de la semaine", parce que vous êtes...
- quel est donc ce mot que je cherche?
- nouvelle parmi nous?
- effrayée?
- excentrique?
- Ah..juive.
- ben voyons, c'est la même chose.
- d'ailleurs, il y a un chapitre entier sur Hanouka
-(une femme) - j'adore le chapitre sur les pommes de pin
( Bobbie et Joanna sont interloquées)
- elles ne servent pas uniquement dans la fabrication des couronnes ou des centres de table.
- vous pouvez également utiliser des pommes de pin pour fabriquer un chandelier juif de Noël très spécial
- et si vous faites un bonhomme de neige en pommes de pin, vous pouvez en faire un juif en lui ajoutant une calotte sur la tête
- (feignant l'enthousiasme) : ou je pourrais peut-ête bien utiliser des centaines de pommes de pin pour épeler les mots
"grande juive", en énormes lettres de 15 pieds de hauteur, dans la neige du jardin, devant ma maison.
Incompréhension, doute... Is it a joke?
Consternation.
Madame "tout va bien àStepford et cette idiote ne va pas bouleverser notre tranquillité" :
- Oh mais quelle merveilleuse idée!
Concert de rires et d'applausdissements ( soulagement !!! tout est en ordre !)
- c'est fantastique
- c'est tellement adorable
- j'adore l'idée de fabriquer un Père Noël grandeur Nature tout en pommes de pin..
( La surenchère continue : mais jusqu'où iront-elles?)
- Moi, dans ma crèche, je vais utiliser une pomme de pin pour faire l'enfant Jésus.
- et moi je vais attacher une pomme de pin à mon vibromasseur
- et là je suis certaine d'avoir vraiment un joyeux Noël
Joanna ne sait trop comment sauver la face
Euh..pas trop son genre d'humour.
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