• LA. À une heure du matin

     

    À une heure du matin – Baudelaire, in Le Spleen de Paris

    - 50 poèmes édités à titre posthume en 1869, publiés auparavant dans des revues

    - Prose poétique inspirée par l’ouvrage d’Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit, dont Baudelaire admire le style et les motifs fantastiques. Ce recueil aborde de nombreux registres et des thèmes variés, tous inspirés par la capitale ; certains poèmes sont emprunts d’onirisme et de spiritualité, d’autres appellent à une réflexion sur la nature humaine ou sur la misère, aussi bien morale que sociale. Certains tendent à l’Idéal, d’autres au  spleen, comme dans Les Fleurs du Mal.

    - Ce poème traduit le malaise du poète au milieu de ses semblables et son irrémédiable tension entre le spleen et l’idéal.

    Pb : Comment ce poème exprime-t-il  l’aspiration du poète à la rédemption? (concept religieux ou moral : fait de se racheter, de racheter ses fautes ou ses péchés).

     

    Tout d’abord, le poète procède à une introspection qui se révèle être celle d’un misanthrope. En effet, il aspire à la solitude et désire s’isoler totalement du monde. Il nous fait part du soulagement de se retrouver seul chez lui, à une heure du matin, dans le calme et l’obscurité, en exprimant de façon hyperbolique sa haine de la ville et l’épuisement  qu’elle lui procure, ainsi que le dégoût que lui inspire la société. Après avoir brossé un portrait péjoratif de l’être humain, aussi bien de lui-même que des autres hommes, il cherche la rédemption : la poésie en est l’unique moyen, elle seule est une échappatoire à la médiocrité et au spleen.

     

    I- L’introspection d’un misanthrope :

    1) Une aspiration à la solitude :

    - soulagement : anaphore Enfin !  (3 fois) = insistance + Exclamation

    - champ lexical mélioratif de la solitude : posséder le silence (= le faire sien), métaphore se délasser dans un bain de ténèbres…= échapper au bruit et au mouvement, en s’isolant dans l’obscurité.

    2) Un désir d’isolement total :

    - enfermement : un double tour de serrure, métaphore : ce tour de clé fortifiera les barricades qui me séparent du monde = image puissante d’une place forte imprenable, vœu d’être coupé du monde.

    - vision péjorative du monde extérieur :                                                   

    ·         Idée d’épuisement : hypallage (ou métonymie) fiacres attardés et éreintés, désir de repos (l.3).

    ·         Expression de la souffrance et de la haine : la tyrannie de la face humaine, je ne souffrirai plus que par moi-même + hyperbole : Horrible ville ! Horrible ville ! Lexique fort + répétition.

     

    II- Un tableau pessimiste de l’être humain :

    1) Un récapitulatif des rencontres de  la journée : une galerie de personnages médiocres.

    - énumération qui correspond bien au monde fréquenté par Baudelaire : plusieurs hommes de lettres (9), le directeur d’une revue (11), un directeur de théâtre (16), une « sauteuse » (15) .

    - effet d’accumulation qui rend ces rencontres oppressantes : par la succession de points-virgules, par l’expression de pluriel ou de quantités, comme plusieurs hommes de lettres, une vingtaine de personnes, des poignées de main dans la même proportion. + Exclamation finale : ouf ! est-ce bien fini ? (21)

    - portrait satirique de tous ces gens  (avantage de la prose : insertion du langage familier et discours direct) le directeur de la revue est suffisant et arrogant (11,12), l’homme de lettres est ignorant (10), la sauteuse est superficielle (15), le directeur de théâtre est méprisant et insultant (16 à 18).

    2) la vacuité de l’existence :

    - activités qui semblent répétitives,  tout est du pareil au même : des  parallélismes de structure  accentuent l’effet répétitif  (nom +pronom relatif qui + proposition au passé): le directeur d’une revue qui à chaque objection répondait/ chez une sauteuse qui m’a prié de lui dessiner…/ un directeur de théâtre qui m’a dit en me congédiant… 

    - agitation stérile  du poète lui-même: la construction avoir suivi d’un participe  passé : avoir vu/avoir disputé, avoir distribué, avoir salué…+ expressions qui indiquent l’inutilité de tout cela : dont quinze me sont inconnues, pour tuer le temps, m’être vanté (pourquoi ?)…

    3) un autoportrait sans concession :

    L’artiste en société est aussi horrible que les autres, comme s’il était contaminé ;

    - mépris des autres : distribuer des poignées de main sans avoir pris la précaution d’acheter des gants (14), crime de respect humain (20) ceux que je méprise ( 26)

    - vantardise : m’être vanté(18), délit de fanfaronnade(20)

    - lâcheté : avoir lâchement nié quelques autres méfaits (19)

    - comportement absurde, irrationnel et sans scrupules, marqué par un chiasme antithétique : avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle (20,21).

    - Complaisance à évoquer ses mauvais côtés : champ lexical du crime, ci-dessus en bleu + vilaines actions (19)

     

    III- L’Art : une  échappatoire au spleen

    1) l’expression d’un repentir dans le dernier paragraphe

    - regret : parallélisme de structure,  Mécontent de tous et mécontent de moi.(22)

    - vocabulaire religieux du mea culpa : (la faute, le péché) Je voudrais bien me racheter (22), Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce (25)

    - invocation des esprits bénéfiques : anaphore et parallélisme de structure, comme une incantation : Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés

    - purification : fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde : rythme ternaire.

    2) la rédemption par l’art :

    (La rédemption est le rachat du genre humain par le sacrifice du christ)

    - le poète veut se réhabiliter à ses propres yeux : m’enorgueillir (22) (opposé à l’idée de mépris des autres et de lui-même qui précède)

    - ambiance propice à l’inspiration, loin du tumulte : dans le silence et la solitude de la nuit (23)

    - par la poésie : deux dernières lignes, comme une chute : la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier  des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise !

     

    Ouverture : La Muse vénale ou l’Albatros

     

     

    À une heure du matin

      Enfin ! seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même.
      Enfin ! il m’est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres ! D’abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde.

      Horrible vie ! Horrible ville ! Récapitulons la journée : avoir vu plusieurs hommes de lettres, dont l’un m’a demandé si l’on pouvait aller en Russie par voie de terre (il prenait sans doute la Russie pour une île) ; avoir disputé généreusement contre le directeur d’une revue, qui à chaque objection répondait : « — C’est ici le parti des honnêtes gens, » ce qui implique que tous les autres journaux sont rédigés par des coquins ; avoir salué une vingtaine de personnes, dont quinze me sont inconnues ; avoir distribué des poignées de main dans la même proportion, et cela sans avoir pris la précaution d’acheter des gants ; être monté pour tuer le temps, pendant une averse, chez une sauteuse qui m’a prié de lui dessiner un costume de Vénustre ; avoir fait ma cour à un directeur de théâtre, qui m’a dit en me congédiant : « — Vous feriez peut-être bien de vous adresser à Z… ; c’est le plus lourd, le plus sot et le plus célèbre de tous mes auteurs, avec lui vous pourriez peut-être aboutir à quelque chose. Voyez-le, et puis nous verrons ; » m’être vanté (pourquoi ?) de plusieurs vilaines actions que je n’ai jamais commises, et avoir lâchement nié quelques autres méfaits que j’ai accomplis avec joie, délit de fanfaronnade, crime de respect humain ; avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle ; ouf ! est-ce bien fini ?

      Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise !

    LA. À une heure du matin

     

     

     

     

     


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