• Présentation de l'Oeuvre

                                                                                                 

    Présentation de l'Oeuvre

     

    Les âmes sensibles ont plus d'existence que les autres : les biens et les maux se multiplient à leur égard. [...]

    La sensibilité est la mère de l'humanité, de la générosité ; elle sert le mérite, secourt l'esprit et entraîne la persuasion à sa suite. 

                                                                                           Louis de Jaucourt- Article "Sensibilité" de l'Encyclopédie

       Manon Lescaut est l'un des romans les plus représentatifs du XVIIIe siècle. Il en exprime les préoccupations essentielles : la recherche du bonheur, la question du libertinage et de la liberté individuelle, l'opposition entre nature et culture. Il met l'accent également sur une caractéristique des Lumières bien souvent ignorée au profit du règne de la raison : l'éloge de la sensibilité ( tendance qui conduira au pré-romantisme à la fin du siècle). Par ailleurs, cette oeuvre  se situe à la croisée du roman classique ( XVIIe siècle) et de l'apogée du genre romanesque au XIXe siècle. Il en marque ainsi l'évolution, s'attachant à devenir plus réaliste, plus ancré dans la société de son temps, et soucieux de prêter à l'histoire un semblant de vérité et de moralité.

    XVIIe siècle : Le roman est un genre méprisé :

       Au XVIIe siècle, le roman n'a pas encore conquis ses lettres de noblesse. Face au théâtre qui demeure le genre prédominant et à la tragédie en particulier, qui apparaît comme le genre noble par excellence, il est considéré  comme une forme littéraire mineure. Les productions qui dominent à cette époque sont les romans pastoraux et les romans précieux. Les premiers présentent une image totalement idéalisée de l'amour, autour de bergers qui évoluent dans un cadre bucolique. Les seconds sont de véritables romans-fleuves : ils proposent une fiction antique où l'on transpose la vie au XVIIe. Ce sont des romans à clefs, galants, qui font le portrait de personnes réelles sous des pseudonymes.

     

     

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           Le roman est alors un genre méprisé. Les dévots le disent "amoral" et le qualifient de "vermine de livres". On lui reproche son manque de sérieux, d'être le foyer d'erreurs ou approximations historiques. Il est par ailleurs qualifié d'invraisemblable : il contient des éléments par trop "romanesques", peu crédibles.

         La fin du XVIIe siècle voit naître cependant un nouveau type de récit : le roman d'analyse psychologique. Madame de La Fayette en est le précurseur. Avec La Princesse de Clèves, elle crée un personnage plus humain, tourmenté par des sentiments contradictoires dont le narrateur étudie les évolutions. La narration est sobre et brève, à l'opposé des romans précieux. Mademoiselle de Chartres, l'héroïne, reste néanmoins l'incarnation d'un idéal de mesure et de raison.

     

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    XVIIIe siècle : Le roman part à la conquête de sa légitimité  

        Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que les romanciers inscrivent leurs personnages dans une réalité sociale contemporaine. Surtout, ils vont en diversifier les origines et l'on va voir apparaître au premier plan non plus seulement des nobles, rois et chevaliers, mais des bourgeois, des gens du peuple et des marginaux. Par ailleurs, les auteurs, afin d'apporter plus de crédibilité à leur histoire, vont adopter des stratagèmes divers visant à "authentifier" leur propos. Ils prétendent  par exemple n'être que les "transcripteurs" du récit effectué par une tierce personne ( Voir, par exemple,  les précisions apportées par Voltaire sous le titre de son ouvrage Candide ou l'Optimisme : " Traduit de l'allemand de M. le docteur Ralph, avec les additions qu'on a trouvées dans la poche du docteur, lorsqu'il mourut à Minden, l'an de de grâce 1759"). D'autres écrivains s'affichent comme les prétendus dépositaires d'une correspondance qu'ils se contenteraient de publier ("J'ai vu les mœurs de mon temps, et j'ai publié ces lettres."J.-J. Rousseau, préface de La Nouvelle  Héloïse. Laclos adopte le même procédé : Les Liaisons dangereuses, ou Lettres recueillies dans une Société, et publiées pour l'instruction de quelques autres. )

       Manon Lescaut ne déroge pas à la règle. L'Abbé Prévost lui confère une fonction  morale et une prétendue authenticité. Il s'agirait des mémoires  d'un homme de qualité, le marquis de Renoncour. L'histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut en constitue le septième tome.  Selon l'auteur, ce roman serait un ouvrage édifiant visant à instruire le lecteur:

    "J'ai à peindre un jeune aveugle, qui refuse d'être heureux, pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes; qui, avec toutes les qualités dont se forme le plus brillant mérite, préfère par choix une vie obscure et vagabonde à tous les avantages de la fortune et de la nature ; qui prévoit ses malheurs, sans vouloir les éviter ; qui les sent et qui est accablé, sans profiter des remèdes qu'on lui offre sans cesse, et qui peuvent à tous moments les finir. (...) Les personnes de bon sens ne regarderont point un ouvrage de cette nature comme un travail inutile. Outre  le plaisir d'une lecture agréable, on y trouvera peu d'événements qui ne puissent servir à l'instruction des mœurs ; et c'est rendre, à mon avis, un service considérable au public que l'instruire en l'amusant".

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    Une condamnation immédiate et un succès durable :

        En 1723, à la période festive de la Régence succède le règne de Louis XV. Le parti jésuite y participe en force, prônant le retour de l'ordre moral.  A ce moment là, Prévost s'est enfui de son couvent et après s'être exilé en Angleterre, il vit en Hollande. C'est dans ce pays d'accueil qu'il fait publier Manon Lescaut en 1731. Ce court roman rencontrera aussitôt son public, charmé par cette histoire d'amour passionné. Mais publié en France en 1733 sans autorisation, il est saisi et condamné au feu. Pourtant, son succès ne tarit pas et vingt-six éditions se succèdent du vivant même de l'auteur. Certes, les personnages sont immoraux, mais on s'attache à ces deux jeunes gens qui s'aiment envers et contre tous. La société qui les entoure et les blâme apparaît non pas comme la voix de la sagesse, mais comme une entité répressive, dominée par l'argent, la corruption. Des Grieux est jeune homme touchant par sa sincérité, sa spontanéité, ses faiblesses aussi. Manon est un personnage lumineux, radieux, avec un immense appétit de vivre qui semble justifier- sinon excuser- tous ses écarts. C'est sans doute en cela que ce roman fut jugé comme "abominable", car la peinture des vices y semblait complaisante.

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    Critiques : 

    "J'ai lu ce 6 avril 1734 Manon Lescaut, roman composé par le P. Prévost. Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin qui est menée à la Salpétrière, plaise, parce que toutes les actions du héros, le chevalier Des Grieux, ont pour motif l'amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse. Manon aime aussi, ce qui lui fait pardonner le reste de son caractère. "

                                                                                                               Montesquieu, Mes pensées, 1899.

    " Quelles larmes que celles qu'on verse à la lecture de ce délicieux ouvrage ! Comme la nature y est peinte, comme l'intérêt s'y soutient, comme il augmente par degrés, que de difficultés vaincues ! Que de philosophie, à avoir fait ressortir tout cet intérêt d'une fille perdue ; dirait-on trop en osant assurer que cet ouvrage a des droits au titre de notre meilleur roman? Ce fut là où Rousseau vit que, malgré des imprudences et des étourderies, une héroïne pouvait prétendre encore à nous attendrir, et peut-être n'eussions-nous jamais eu Julie *, sans Manon Lescaut."

                                                                                                                        Sade, Idée sur les romans, 1881.

    * allusion au personnage de Julie dans le roman épistolaire de Rousseau, La Nouvelle Héloïse.

    Quel cortège aux flambeaux de joueurs, de tricheurs, de buveurs, de débauchés, de descentes de police ! C'est ce parfum crapuleux de poudre à la maréchale, de vin sur la nappe et de lit défait qui donne à Manon la force de vivre à travers les siècles et de ne point se confonde avec d'autres figures dont les mouches et le sourire ne suffisent pas. [...] Notre époque ne verrait pas, sans révolte, paraître un pareil livre. Elle aime les éclairages indirects et le chauffage central. Elle n'aime plus le feu."

                                                                                                    Jean Cocteau, Revue de Paris, octobre 1947.


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