• LA- Manon Lescaut

    Lecture analytique Manon Lescaut- abbé Prévost : une scène de rencontre

    I- Une scène de coup de foudre :

    1. Mise en scène de la première rencontre :

    - une rencontre fortuite, due au hasard : Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité  (l.6)

    - mise en relief de l’apparition de Manon (attire l’attention du lecteur): suite d’événements précipités et mise en valeur de l’héroïne : Il en sortit (…) si charmante (lignes 6 à 10)

    ·         Succession de verbes au passé simple + adverbe « aussitôt » : les événements se précipitent

    ·         La conjonction adversative « Mais » annonce un élément perturbateur +  adjectif « seule », opposé à « quelques femmes » : personnage unique, qui se détache du groupe.

    ·         Portrait bref et mélioratif : première impression positive : fort jeune et si charmante ; les adjectifs qualificatifs sont accentués par les intensifs « fort » et « si ».

    2. L’éveil soudain de la passion :

    - Amour subit et puissant : le jeune homme semble sous le charme d’un envoûtement : Elle me parut si charmante (…) enflammé jusqu’au transport (l. 10 à 15)

    ·         Champ lexical de l’amour : la maîtresse de mon cœur ; depuis un moment que l’amour était dans mon cœur (donc dès le début) ; mon amour naissant ; un air charmant (au sens propre : qui charme) ; la tendresse infinie ; ma belle inconnue. Emploi d’un lexique fort  (hyperbolique) : « enflammé, transport, infinie, maîtresse. »

    ·         Les expressions « tout d’un coup » (l.13) + « déjà » x2 (19 et 34) montrent la rapidité de l‘apparition de l’amour.

    - Image angélique de Manon victime (stéréotype de la jeune fille idéalisée au XVIIIe) : fort jeune, charmante, moins âgée que moi, me répondit ingénument, la cruelle intention de ses parents ; elle allait être malheureuse, la douceur de ses regards, un air charmant de tristesse.  Ce portrait justifie que le narrateur se porte à son secours.

    3. La métamorphose du jeune homme :

    - L’amour le transforme, comme sous l’effet d’un filtre magique :

    ·         De « timide » (14) il devient audacieux et entreprenant : accumulation de verbes d’action et de parole au passé simple (réactions rapides) : je l’assurai que, je me trouvai ; je m’avançai ; je lui demandai ; je regardai ; je lui parlai…+ d’où me venait tant de hardiesse et de facilité à m’exprimer (constat de capacités nouvelles)

    ·         Attitude chevaleresque : isotopie de la chevalerie : je combattis ; mon honneur ; j’emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie ; la pouvoir mettre en liberté ; j’étais prêt à tout entreprendre ; les moyens de la servir.

    ·         De naïf et innocent (l.11) il est éveillé à la sensualité : champ lexical de la sexualité opposé à celui de l’inexpérience : moi qui n’avait jamais pensé à l différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvé enflammé (10 à 13) + l’amour me rendait déjà si éclairé+ un coup mortel à mes désirs.

    Transition : Cette scène de première rencontre recourt à plusieurs caractéristiques traditionnelles du topos romanesque du coup de foudre : amour puissant et immédiat, « à première vue », trouble physique et émotionnel, idéalisation de la personne aimée …Cependant, le caractère rétrospectif du récit permet de prendre un certain recul et d’analyser différemment cet épisode.

     

    II- Une analyse rétrospective :

    1. Deux époques superposées :

    - le récit de la rencontre, époque passée, narration :

    ·         Temps du récit : imparfait et passé simple

    ·         Mise en place d’un cadre, comme dans un incipit : où ? (l’hôtellerie) Quand ? (la veille de mon départ pour Amiens) Qui ?(les deux héros, Manon et le chevalier Des Grieux) Quoi ? (la rencontre)

    - le temps de l’énonciation : le moment où Des Grieux raconte son histoire au marquis de Renoncour :

    ·         Passé composé ancré dans la situation d’énonciation (moment où il parle au 1er narrateur) : qui a causé dans la suite (l.24), je me suis étonné mille fois (l.36)

    ·         Conditionnel passé pour exprimer des regrets, postérieurs aux faits passés : Hélas ! (…) j’aurais porté chez mon père toute mon innocence !

    ·         Anticipation : connaît les événements postérieurs à cette scène : …qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens.

     

    2. Un regard critique sur les deux amants :

    - un récit analytique : ce retour en arrière (analepse) permet au narrateur d’envisager sous un autre jour cette rencontre pleine de promesses ; il analyse a posteriori son attitude et celle de Manon :

    ·         Connecteurs logiques (discours explicatif) : Quoique (15) ; car (22) ; + en y réfléchissant (36)

    ·         Commentaires lucides sur lui-même et son inexpérience : j’avais le défaut d’être extrêmement timide ; mon éloquence scolastique (très « scolaire », peu naturelle, maladroite), mais n’ayant point assez d’expérience pour imaginer…

    ·         Commentaires lucides sur ce qu’était Manon en réalité (en opposition à l’image angélique de la rencontre) : elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée ; car elle était bien plus expérimentée que moi ; son penchant au plaisir qui s’était déjà déclarée ; elle n’affecta ni rigueur ni dédain ; si elle n’eût eu assez d’esprit pour suppléer à la stérilité du mien : jeune fille précoce et intrigante.

     

    3. Une passion tragique :

    - Fatalité : personnage entraîné par des forces supérieures, l’amour et le destin (comme dans les tragédies raciniennes).

    ·         L’amour me rendait déjà si éclairé(19) ; on ne ferait pas une divinité de l’amour s’il n’opérait des prodiges.(37)

    ·         La volonté du Ciel(29) ; l’ascendant de ma destinée qui m’entraînait à ma perte (31)

    - malheur et souffrance :

    ·         Hélas !(1) : interjection exprimant le regret, la douleur ; tous ses malheurs et les miens (25) ; m’entraînait à ma perte (32).

     

     Conclusion :

    Cette scène de première rencontre est placée sous le signe de la fatalité. En effet, le coup de foudre pour Manon, qui va conduire le narrateur à sa perte, semble provoqué par des forces  qui le dépassent : le hasard qui le conduit sur le chemin de la jeune fille, l’amour impromptu, le pouvoir sensuel et manipulateur de Manon. Le récit rétrospectif nous permet de savoir que leur amour sera tragique.

    L’amour malheureux est un thème privilégié du genre romanesque, dès ses origines, comme par exemple les amours fatales de Tristan et Yseut ou de Lancelot et de la reine Guenièvre.


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