• Annexes : Perceval- Chrétien de Troyes- Pensées de Pascal

     

    Perceval et les trois gouttes de sang sur la neige

     

    Annexes : Pascal et Chrétien de Troyes

     

    http://www.labyrinthiques.fr/2010/01/12/trois-gouttes-de-sang-trois/

    Jamais silence, jamais sidé­ra­tion, jamais trois gouttes de sang n’auront jamais fait cou­ler autant d’encre rouge et noir… Déci­dé­ment Chré­tien de Troyes, dont je vous ai déjà parlé, figure parmi les plus grands ins­ti­ga­teurs des mythes lit­té­raires occi­den­taux, lui qui écrit en inci­pit de Perceval :

    Qui sème peu récolte peu, et qui veut faire une belle récolte doit plan­ter sa semence en un lieu propre à la lui rendre au cen­tuple. Car en terre qui ne vaut rien, la semence sèche et meurt. Chré­tien plante et sème un roman qu’il com­mence, et il le sème en un si bon lieu qu’il ne pourra pas ne pas lui rap­por­ter beau­coup.

    Qui petit seme, petit quialt, / Et qui auques recoillir vialt, / An tel leu sa semance espande / Que fruit a cent dobles li rande ; / Car an terre qui rien ne vaut / Bone semance i seche et faut. / Crestïens seme et fet semance / D’un romans que il anco­mance / Et si le seme an si bon leu / Qu’il ne puet estre sanz grant preu.

    De quoi s’agit-il ? De Per­ce­val cette fois ! L’épisode se passe au moment où il est sur le point de ren­con­trer la cour du Roi Arthur qui va le faire che­va­lier. Sou­dain un vol d’oies sau­vages pour­chas­sées par un fau­con. Le fau­con en blesse une, qui tombe. Celle-ci, visi­ble­ment bles­sée, par­vient quand même à s’échapper en lais­sant der­rière elle, sur la sur­face blanche et pou­drée de la neige, trois gouttes de sang.

     

    L’oie avait été atteinte au cou et elle per­dit trois gouttes de sang qui se répan­dirent sur la neige blanche, telle une cou­leur natu­relle.
    Elle n’avait pas été bles­sée au point de res­ter à terre et de lais­ser à Per­ce­val le temps d’arriver jusqu’à elle.
    Elle avait donc repris son vol et Per­ce­val ne vit que la neige fou­lée, là où l’oie s’était abat­tue, et le sang qui appa­rais­sait encore.
    Il prit appui sur sa lance et contem­pla la res­sem­blance qu’il y décou­vrait : le sang uni à la neige lui rap­pelle le teint frais du visage de son amie, et, tout à cette pen­sée, il s’en oublie lui-même.
    Sur son visage, pense-t-il, le rouge se détache sur le blanc exac­te­ment comme le font les gouttes de sang sur le blanc de la neige.
    Plongé dans sa contem­pla­tion, il croit vrai­ment voir, tant il y prend plai­sir, les fraîches cou­leurs du visage de son amie qui est si belle. Per­ce­val passa tout le petit matin à rêver sur ces gouttes de sang, jusqu’au moment où sor­tirent des tentes des écuyers qui, en le voyant ainsi perdu dans sa rêve­rie, crurent qu’il sommeillait.

    TRA­DUC­TION J. RIBARD.
    LE CONTE DU GRAAL, ÉD. HONORÉ CHAMPION

    Trois gouttes de sang

    La scène est presque d’une bana­lité décon­cer­tante. Le motif des trois gouttes de sang est d’une charge sym­bo­lique assez maigre (bien sûr les conti­nua­teurs chré­tiens de Chré­tien de Troyes y ver­ront le sang du Christ tombé de la lance de Joseph D’Arimathie mais tel n’est pas le sujet de la sidé­ra­tion de notre che­va­lier). L’analogie chro­ma­tique (contraste sang/neige contre les cou­leurs du visage de son amie, Blan­che­fleur) un peu for­cée… Mais qu’est-ce donc qui cap­tive aussi inten­sé­ment le regard de Per­ce­val au point qu’il s’en oublie lui-même ? C’est tout le mys­tère, le Graal de cette scène. Un Qui­gnard voit dans ce pen­sif un être par­venu au bord du lan­gage, au bout du mot qui reste inter­dit au bout de la langue, de ce lan­gage qui ne par­vient plus à jaillir face au vide, au réel éblouis­sant qui suit l’instant de cette pré­da­tion1.

    Roland Barthes, sans aucun doute, y décè­le­rait l’origine du punc­tum de l’image, ce détail poi­gnant qui vient trans­per­cer et piquer au vif le regar­dant. Reli­sons sa défi­ni­tion du punctum :

    Le second élément vient cas­ser (ou scan­der) le stu­dium. Cette fois, ce n’est pas moi qui vais le cher­cher (comme j’investis de ma conscience sou­ve­raine le champ du stu­dium), c’est lui qui part de la scène, comme une flèche, et vient me per­cer. Un mot existe en latin pour dési­gner cette bles­sure, cette piqûre, cette marque faite par un ins­tru­ment pointu ; ce mot m’irait d’autant mieux qu’il ren­voie aussi à l’idée de ponc­tua­tion et que les pho­tos dont je parle sont en effet comme ponc­tuées, par­fois même mou­che­tées, de ces points sen­sibles ; pré­ci­sé­ment, ces marques, ces bles­sures sont des points. Ce second élément qui vient déran­ger le stu­dium, je l’appellerai donc le punc­tum ; car punc­tum, c’est aussi : piqûre, petit trou, petite tache, petite cou­pure – et aussi coup de dés. Le punc­tum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meur­trit, me poigne).

    Roland Barthes, La Chambre claire,
    Garnier-Flammarion, pp. 48 – 49

    Annexes : Perceval- Chrétien de Troyes

     

     

     La Référence à Pascal : cf. explication et citations de Pascal sur le site:

    http://elisabeth.kennel.perso.neuf.fr/le_sans_du_titre.htm

     

    LE SENS DU TITRE    

        En choisissant pour titre Un roi sans divertissementGiono inscrit sa chronique dans un rapport d'intertextualité évident avec Les Pensées de Pascal, même si l'absence de guillemets et de points de suspension puisqu'il ne s'agit que d'une partie de la phrase pascalienne) feignent d'échapper à la citation. 
        En effet, le titre trouve son achèvement dans la dernière phrase de la chronique : " Un roi sans divertissement est un homme plein de misères." La citation exacte de Pascal qui clôt le texte confirme la référence intertextuelle. le titre et la dernière phrase se font écho : le texte s'ouvre et se ferme sur le thème de l'ennui. Par l'artifice d'une question rhétorique, 
    Giono renvoie le lecteur à la lecture de Pascal, clé nécessaire pour comprendre sa chronique. En effet, dans les fragments 168, 169 ( édition de Philippe Sellier) Pascal traite largement du divertissement comme moyen privilégié pour l'homme d'échapper à sa condition, à savoir être mortel. 

        Le titre crée donc un horizon d'attente puisque sont déjà inscrits dans cette formule, le sujet du livre, il va s'agir de parler d'un personnage dominé par l'absence de divertissement et les thèmes dominants :
            - celui de l'ennui
            - celui de la nécessité du divertissement, implicitement
            - celui de la condition humaine, implicitement
        Par ailleurs, le titre suggère des questions : 
            - qu'arrive-t-il à ce roi sans divertissement ?
            - pourquoi ne parvient-il pas à se divertir ?
            - comment faire pour se divertir ?    
        
    De plus, le titre met l'homme au centre du roman, ce que confirme Giono dans ses notes : " Mettre l'homme avant la nature).
        Enfin, c'est plus une réflexion d'ordre philosophique qui est annoncée qu'un récit romanesque.

        Cependant, la référence à Pascal est à nuancer. Tout d'abord, Giono n'évoque pas tel ou tel monarque comme Pascal, mais le terme "roi" désigne ici un homme en particulier ( je devrais dire deux, puisque Monsieur V se trouve dans la même situation que Langlois, mais il occupe une moindre place dans la chronique), Langlois, qui plus que les autres personnages ne parvient pas à combler le vide de sa vie ni à se détourner de son ennui. Certes Langlois, comme l'évoque Pascal, prend plus de plaisir " à la chasse qu'à la prise", mais pour Pascal, l'homme se détourne de lui-même en se divertissant et s'éloigne de ce qui devrait constituer sa véritable quête, à savoir Dieu. Aucune résonance religieuse ou mystique dans le texte de  Giono, il s'agit simplement de remplir le vide de l'existence en se divertissant. Langlois épuise tous les divertissements ( chasse à l'homme, chasse au loup, fête, mariage...) qui sont à sa disposition. Il est vrai toutefois que le divertissement n'est pas une réponse à l'ennui de Langlois puisqu'à la fin il se suicide. pour Giono, le tragique de l'homme ne réside pas dans sa condition d'être mortel mais dans son ennui. lui-même précise les circonstances qui ont présidé à l'écriture d'Un roi sans divertissement", alors qu'il était en vacances" Je commençais à m'ennuyer ; il n'y avait pas de table, rien qu'une petite table de toilette, une  cuvette et un pot à eau ; j'ai écarté la cuvette et j'ai commencé à écrire " Un roi sans divertissement" . Par ailleurs il confie dans ses entretiens : " Si j'invente des personnages et si j'écris, c'est tout simplement parce que je suis aux prises avec la plus grande malédiction de l'univers [...] c'est l'ennui."

     

    Fragment 169 : Divertissement

       " La dignité royale n'est-elle pas assez grande d'elle-même pour celui qui la possède, pour le rendre heureux par la seule vue qu'il est ? Faudra-t-il le divertir de cette pensée comme les gens du commun ? Je vois bien que c'est rendre un homme heureux que de le divertir de la vue de ses misères domestiques pour remplir toute sa pensée du soin de bien danser, mais en sera-t-il de même d'un roi, et sera-t-il plus heureux en s'attachant à ses vains amusements qu'à la vue de sa grandeur, et quel objet plus satisfaisant pourrait-on donner à son esprit ? Ne serait-ce donc pas faire tort à sa joie d'occuper son âme à penser à ajuster ses pas à la cadence d'un air ou à placer adroitement une barre, au lieu de la laisser jouir en repos de la contemplation de la gloire majestueuse qui l'environne ? Qu'on en fasse l'épreuve. Qu'on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnie, penser à lui tout à loisir, et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un roi plein de misères ( c'est moi qui souligne) Aussi on évite cela soigneusement et il ne manque jamais d'y avoir auprès des personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent à faire succéder le divertissement à leurs affaires, et qui observent tout le temps de leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu'il n'y ait pas de vide. C'est-à-dire qu'ils sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu'il sera misérable, tout roi qu'il est s'il y pense."

                                         

     

     


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